Castellucci et Huppert : une Bérénice en mal de jeu
- jochanson
- 21 mars 2024
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 mars 2024
Sur le papier, Castellucci, Huppert et Bérénice est un trio détonnant. La reine Isabelle, dirigée par le plus grand plasticien d’art vivant de notre époque, qui incarne la pièce la plus belle de Racine, la plus cristalline du moins : l’affiche est prometteuse.

Mais la scénographie de Castellucci déçoit, le jeu d’Huppert sombre et Bérénice sort cabossée de cette expérience ratée. Non pas que chacun n’y ait pas mis du sien. Castellucci a fait ce que l’on attend de lui : une scénographie belle, plastique, une ambiance toute symboliste (jusque dans l’utilisation très début de vingtième siècle du voile de tulle en front de scène). Le sol est rouge. La scène est entourée de rideaux changeants, sur lesquels sont projetées les répliques de Titus et Antiochus, absents de la proposition. Bérénice seule parle. Un moment très superflu voit deux performeurs proposer une danse anecdotique accompagnée de la théorie d’un ensemble d’homme, dévêtus la plupart du temps. A part cette incartade, Huppert est donc seule sur scène et enchaine les monologues.

Un beau décor, une actrice sans pareille, une Bérénice recentrée sur ses seuls monologues : en toute logique l’épure devrait s’avérer payante. Mais l’écueil qui fait sombrer le tout est un péché d’estime : il n’a, apparemment, pas paru important à Castellucci de travailler la direction d’acteur. Et à raison : Isabelle devrait s’en sortir ! Mais, livrée à elle-même, n’ayant pour aiguillon que la permission de mal traiter les alexandrins, la reine Isabelle massacre le texte, qui ne souffre aucune déviation.
Andromaque se jouait il y a peu à l’Odéon sous la direction de Stéphane Braunschweig. Il y avait là une occasion formidable de voir que l’alexandrin travaillé dans toute sa complexité pouvait livrer des trésors scéniques, une pureté de texte sans égale. Isabelle pleur et hurle, accompagnée d’un vocoder dont on peine à trouver l’utilité, mais pourquoi pas. Racine ne souffre aucune incartade. Une actrice au parangon du classicisme aurait taillé la pierre luxueuse de cet écrin bien pensé avec plus de force. Quitte à déconstruire Bérénice, pourquoi avoir gardé le texte ? Une expérience purement plastique de la pièce eut été beaucoup plus intéressante. Mais Castellucci a voulu conserver Racine. Et Huppert noyée dans la poésie la rend quotidienne, banale et passe à côté d’un diamant déjà taillé.
Bérénice ou l'expression la plus absolu du rien, de la vacuité luxueuse de mots fixés dans une glace somptueuse, dans l’impossibilité d’un mouvement évoquée plus tard par un Mallarmé dans son poème le Cygne. Il n’y rien d’un envol nié, d’une beauté prise dans le givre, dans ce Bérénice-là : la chaleur d’une langue maladroite casse toute possibilité d’intelligible. Bérénice ne pleure pas ou n’aime pas, elle invente et, ici, Isabelle se perd dans les archétypes d’une passion sans imagination et mal à propos.
Jonathan Chanson - Mars 2024
Bérénice. Théâtre de la Ville. Mise en scène : Romeo Castellucci. Avec Isabelle Huppert.
Crédits photographiques : © Alex Majoli
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