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Earthscape de Frédérique Aït-Touati à la Conciergerie : la recette des demeures

  • jochanson
  • 18 nov. 2022
  • 2 min de lecture

Frédérique Aït-Touati, metteure en scène de la compagnie Zone Critique et Emanuele Coccia, philosophe, proposent une déambulation poétique et sonore au sein des anciennes cuisines de la Conciergerie sur l'île de la Cité, monument connu pour avoir accueilli la cellule de Marie-Antoinette lors de la Révolution. Entre visite guidée, scènes jouées ou moments de réflexions, cette rêverie ancrée dans ce lieu si dense réveille nos propres souvenirs et questionne nos manières d'habiter nos corps, nos habitats, le monde.


C'est grâce au programme de soutien à la création artistique Mondes nouveaux, mis en œuvre par le ministère de la Culture dans le cadre de France Relance, que la compagnie Zone Critique a pu présenter ce spectacle à la Conciergerie après dix jours de travail in situ. Ce moment est venu en complément d'autres résidences, notamment au MAIF Social Club. Frédérique Aït-Touati, metteure en scène du projet, s'est inspirée du livre d'Emanuele Coccia, Philosophie de la maison, l'espace domestique et le bonheur, pour entamer un travail d'adaptation, d'improvisation et de recueil d'anecdotes personnelles. Ces matériaux, écrits en collaboration avec toute l'équipe du projet, ont permis de construire une déambulation dans les anciennes cuisines du monument. Dans cette salle, composée d'immenses et imposants piliers de pierre, dont chaque coin est occupé par un immense foyer, les trois brillants comédiens - Duncan Evennou, Maxime Lévêque et Olivia Ross - évoluent au grès de monologues, de scènes jouées ou de discours philosophiques. Le public est amené à les suivre d'un côté à l'autre de la pièce, à occuper ce lieu, à l'habiter avec eux, accompagné par le son de leurs voix détimbrées diffusées en direct dans des casques audio fournis aux spectateurs.


La construction sonore de la pièce amène, et c'est l'intention de l'équipe artistique, à s'emparer du lieu par la voix ou par des bruitages comme ceux, entre autres, de la mer, de la forêt, de bruits de vaisselle, d'enfants ou de fête. Habiter le monde c'est ainsi d'abord donner une sonorité à un espace. Dispersés à la manière de chanteurs lyriques dans un respondirum, les acteurs colorent de leurs voix posées et profondes les étapes successives de ce voyage intime et universel. Nous sommes invités à faire l'expérience du lieu, de notre façon d'y être, d'y vivre, devenant à notre tour les acteurs vivants et comme « géologiques » de l'endroit.


Et de fait, si notre rapport au monde, aux paysages, aux pièces d'une habitation, se fait par les sons, l'intime ou le sensible, comme le souligne la pièce, force est de constater que nous devenons comme des minéraux au contact de ces pierres centenaires. Nous habitons l'histoire et lui donnons son âme par notre capacité à nous saisir de l'existence de ce calcaire et à échanger avec lui nos patrimoines génétiques, comme le suggère un passage du texte. Bercés par le jeu subtil des acteurs, séduits par leurs très touchantes scènes de jeu, habités par leurs pérégrinations philosophiques, nous faisons corps avec cette cuisine. Nous nous y perdons avec délice et devenons à notre tour les porteurs d'histoires, les hommes et femmes pensants, capables de s'inscrire un moment dans la chair d'un lieu en l'embrassant sensiblement. Earthscape est une pièce de l'espace vide tout autant que de l'espace saturé de signifiants poétiques, elle s'inscrit dans la lignée de ces spectacles construits avec une complexité si fine qu'elle parait invisible, et c'est bien assez rare pour valoir le détour.


Jonathan Chanson 17/11/2022

 
 
 

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