Entretien avec Stéphane Braunschweig, metteur en scène et directeur de l'Odéon
- jochanson
- 12 déc. 2023
- 3 min de lecture
À la veille de l'annonce par le directeur de l'Odéon de son souhait de quitter le théâtre national, j'ai pu le rencontrer pour un bref échange autour de la création d’Andromaque, présentée dans la grande salle depuis un mois. Loin des considérations politiques et artistiques entrainant le départ de Stéphane Braunschweig, nous avons pu nous entretenir sur l'essence du métier de metteur en scène : les processus de création à l’œuvre pendant les répétitions. Du travail dramaturgique à celui concernant la diction des alexandrins, cet entretien revient sur la gestation d'une Andromaque qui fera date.

J.C. Quel a été le processus de création ?
S. B. Il n'y a pas eu de travail à la table. En général, le travail dramaturgique à proprement parler se fait en amont. Nous avons commencé à répéter le 3 septembre (pour une première en novembre). Nous avions eu quatre jours de lecture en mai. Cela a permis d'aborder le texte de manière intelligente, de façon à ce qu'il soit appris dans une direction. Mais il arrive de faire des allers-retours entre le travail scénique et dramaturgique.
J. C. Vous avez décidé de représenter les conséquences de la guerre plutôt que de favoriser une lecture passionnelle de la pièce. Cette idée vous est-elle venue d'un travail dramaturgique avec Anne-Françoise Benhamou, qui est votre dramaturge depuis de nombreuses années ?
S. B. Avec Anne-Françoise Benhamou nous discutons des personnages et des situations. Avant cela je réfléchis à la scénographie et à la distribution. La scénographie vient en premier. J'ai imaginé cette flaque de sang pour évoquer la guerre. Je me suis demandé si cela suffirait et de quelle façon il faudrait la représenter : en cercle, ovale, en forme de haricot. Par contre, l'idée du grand miroir de l'acte cinq est venue pendant les répétitions : il me permettait, entre autres, de faire venir le fantôme de Pyrrhus.
J. C. Avez-vous des codes scéniques qui vous suivent de spectacle en spectacle ?
S. B. Je n'ai pas de règles précises. Je souhaite seulement qu'il n'y ait pas de gestes inutiles. Les répétitions sont un endroit de recherche. Avec Racine, il y a une multitude de possibilités de jeu. Je suis surtout directif sur le texte, les intentions.
J. C. Il y a des scènes très fortes, comme cette scène où Pyrrhus laisse éclater sa fureur. Comment avez-vous traité la folie chez les personnages ?
S. B. Il y a cette idée de stress post-traumatique, mais pas comme celui que l'on retrouve chez les soldats irakiens revenant de guerre. Pyrrhus est le plus impacté. À propos de son amour pour Andromaque, imaginons Poutine souhaitant épouser la veuve de Zelenski, c'est absurde, c'est irrationnel. Andromaque ne peut pas considérer les avances de Pyrrhus, elle reste fidèle à son époux. Oreste et Hermione ont été impactés par la guerre, notamment depuis le sacrifice d’Iphigénie. Tous les personnages deviennent fous à cause de la guerre.
J. C. Vous avez évoqué « MeToo » à propos des relations entre les personnages, pourquoi ?
S. B. On ne peut plus lire Andromaque comme autrefois. Chez Racine, on ne dit jamais que
les hommes sont inhumains mais plutôt que les femmes sont inhumaines. Pyrrhus a l'air de demander le consentement d'Andromaque tout en faisant un chantage avec la mort de son fils !
J. C. Pour terminer, comment avez-vous travaillé l'alexandrin avec vos acteurs ?
S. B. J'ai souhaité que l'on entende l'alexandrin de la manière la plus naturelle possible tout en laissant une liberté aux acteurs : la liberté de faire ou non des pauses à l'hémistiche, ou de respecter les césures. La règle la plus importante était que l'alexandrin ne devait pas donner lieu à une certaine musique. L'alexandrin est une forme complexe structurée. Il s'agissait de ne pas trop faire dans le détail, ne pas enjoliver le vers, garder une sensation de mouvement. Il s'agissait d'avoir une intensité et pas forcément une expressivité. Les micros nous permettent de parler bas, ce qui est un plus pour la maitrise de l'alexandrin et les possibilités de jeu. Malheureusement, l'Odéon ne possède pas une acoustique formidable. Sans micros il aurait fallu projeter la voix alors que là, les acteurs peuvent parler de manière naturelle. Pour le reste, il s'agissait de respecter les douze pieds et de ne pas faire d'enjambement.
Jeudi 7 décembre 2023
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