« Somnole » de Boris Charmatz : essentielle inanité sonore
- jochanson
- 17 déc. 2021
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Boris Charmatz apparaît dans l'espace situé devant l’autel de l’église Saint-Eustache en sifflant sur le fil comme les « inanités sonores » de Mallarmé. Les bras tendus vers les voûtes, il avance pour gagner le théâtre de cette arène bienveillante. Le danseur et chorégraphe, bientôt directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, fait vibrer les moindres parcelles de son corps à l’écoute de ce frottement de l’air, fragile et maîtrisé. Sur le papier, l’idée est excellente : le corps à l’écoute de cette musique du souffle, agit en conséquence et provoque le souffle en retour. Une boucle se forme : quelque chose de vivant part du diaphragme, passe par les lèvres qui modulent le souffle et provoque, par friction, un sifflement vital qui fait se mouvoir le corps. In fine, le corps accorde le souffle.
Cette extrême présence à soi, ce moment sacré d’un corps qui n’agit que dans le présent d’une attention fine et sensible, est un état rare et précieux. Donner à voir un espace vide de toute psychologie, de toute scorie de la performance, c’est prendre le risque de la fragilité mais surtout de l’exposition de la vie réelle, saisie dans sa dualité, sa forme spirituelle et corporelle. En donnant à contempler une danse hors de la mesure habituelle, dont tout texte ou sous-texte est absent, Boris Charmatz offre une présence dépouillée de tout utilitarisme, de toute école, proche du rituel. L’air divin transsubstantié en chair, dans l’instantanéité de ce qui, pierre contre pierre, provoque des étincelles, ce geste de feu qu’est le sifflement, donne à voir une vie allègre, une essence de tous les récits, un point zéro de l’être au monde.
Cette durée qui se matérialise jusqu’au bout des doigts, qui gaine le corps dans une exigence extrême, donne aux premiers et aux derniers moments de Somnole le caractère d’une liturgie païenne. « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. ». Rimbaud, pour qui l’âme doit se faire monstrueuse, dit clairement le processus auquel s’adonne Boris Charmatz. Dans le moteur créateur de toute existence, le chorégraphe ne fait que tenter, encore et encore, la poésie de la naissance du mouvement avec un des matériaux les plus nobles : l’air.
Et quand bien même la plus grande partie de Somnole se perd dans une démonstration athlétique sous la forme d’un cabaret de chansons sifflées, ne serait-ce que pour les dix premières et les dix dernières minutes, il y a là un spectacle essentiel, une idée, sa contemplation et son incarnation géniale, sensuelle et divine.
Jonathan Chanson - décembre 2021


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