top of page
Rechercher

Une maison génialement manipulée au Théâtre du Rond Point

  • jochanson
  • 31 janv.
  • 3 min de lecture

Nora mène son ménage comme ce petit oiseau invoqué par Yngvild Aspeli dans le programme du spectacle, à la mise en scène en collaboration avec Paola Rizza. Dans ce spectacle époustouflant, cet oiseau se heurte aux fenêtres, se brise les os, bâtissant sa fuite sur une illusion mortifère où les marionnettes tiennent un rôle essentiel.



Sur le plateau, la metteuse en scène endosse les rôles du mari de Nora, de ses enfants et de leurs amis, manipulant des marionnettes grandeur nature. Viktor Lukawski rejoint Yngvild Aspeli dans le dernier quart de la pièce pour incarner son mari, laissant la marionnette pour donner corps à celui qui fut la raison des mensonges et celle du renoncement. La scénographie de François Gauthier-Lafaye représente un salon bourgeois, canapé vert, lieu des jeux familiaux et réceptacle des angoisses de la femme. Nora voit sa vie s’écrouler suite à un mensonge à son mari pour le préserver de la faillite. Les murs de papier peint rose et jaune laissent place à des stries semblables à une plaque de glace sur un lac, endroit de la peur, lieu du jeu des représentations du cauchemar, habité de créatures de l’angoisse. Les lumières de Vincent Loubière habillent magnifiquement l’espace et permettent de cacher ou dévoiler les marionnettes comme autant de fantômes surgissant du néant. Nora a menti et ce mensonge la rattrape : pour avoir souhaité éviter la faillite elle a fait un faux document et suite à un retournement mal venu, la faute est dévoilée, le mari s’acharne sur Nora. Nora est sauvée par un coup de théâtre bienvenu mais la brutalité du mari a brûlé Nora dans sa chair, elle quitte le foyer après l’avoir boulversé.



Nora a mené son foyer à la dérive, organisant ce dernier dans les moindres détails, main de maître représentée sur scène par Yngvild Aspeli manipulant les marionnettes qui peuplent sa vie. Tout se passe comme si cette dernière se précipitait sciemment dans la tourmente, cherchant, comme on construit son destin, à tout faire pour provoquer la faillite. Entre la tragédie du fatum et de la fuite subie, les marionnettes incarnent une manœuvre brillante qui manifeste autant le désir inconscient de défaite que la manipulation par les marionnettes, par leur contraintes techniques, d’une Nora qui se noie, perdue dans ce théâtre. Ce dernier agit comme un catalyseur de revendication de liberté : l’héroïne s’en va, la nouvelle polarisation de l’âtre tourbillon étant incarné par le mari, ayant quitté sa représentation de tissu pour tenir la famille en chair et en os.



Le parti pris de la marionnette est-il judicieux ? Il est plus qu’essentiel dans la compréhension de la pièce. De poupées manipulées à poupées manipulatrices, elle trace le chemin de Nora entre responsabilité et chemin subi. L’essence de cette maison de poupée apparaît au grand jour, proposant un destin teinté de maîtrise. Et quand bien même Nora manipulerait son avenir, les envies inconscientes de fuite en avant viennent doubler le fatum. Dans le même ordre d’idée, même manipulée par les marionnettes, Nora accepte ce jeu. Il y a donc du double dans chaque avenir esquissé. Le réel affleure dans ce double, la position de Nora éclate au grand jour, dans son éclat brut et toute sa complexité. La seule décision pure de la femme, éloignée des poupées, ayant échappé à la tutelle de son mari, sera de quitter le foyer. Loin de toute épaisseur dramatique, loin d’un épique brechtien de distanciation, la décision finale est de l’ordre d’une sortie de la représentation. Elle fait rayonner le plateau d’un ailleurs du théâtre, d’une vie réelle, d’un appel ciselé à vivre sa vie, posant la double appréhension des souffrances dans la libération d’une vie chargée de strates endolories. Le parcours s’achève donc dans une joie étrange, un amour éclaté, une sortie du tragique, et amène à espérer que les scories bouleversantes de vies malmenées s’achèvent dans l’allégresse. Il y a véritablement une téléologie dans cette maison de poupée, une science des fins, et le bonheur manipulé à l’ouverture des rideaux évolue dialectiquement vers une résolution débarrassée des conventions, libérée de toute contrainte, épurée de tout superflu : les poupées sont démembrées, la maison se vide de ses habitants. Cette nouvelle vie n’est pas sans souffrance, mais elle semble trouver son essence nouvelle, ciselée.


Jonathan Chanson le 31 janvier 2015


Crédits photographiques : © Johan Karlsson

 
 
 

Comentarios


bottom of page